Fusillée le 1er septembre 1936 par les franquistes, la journaliste et intellectuelle française Renée Lafont est sur le point d’être exhumée d’une fosse commune du cimetière La Salud de Cordoue, plus de quarante ans après la fin de la dictature espagnole.
Hispanophile convaincue, elle devient la traductrice attitrée de l’écrivain espagnol Vicente Blasco Ibáñez, en particulier pour son essai, Ce que sera la République espagnole, paru en 1925. Elle traduit également des écrits du romancier Alberto Insúa et fréquente par ailleurs des auteurs comme Henry Bataille, Jean Giraudoux ou Marcel Martinet. Au début des années trente, elle s’engage à gauche, à la fois de par l’intérêt qu’elle porte à l’instauration de la République en Espagne, mais également via son adhésion à la 5e Section de la S.F.I.O. de Paris.
Renée Lafont est envoyée sur le Front Républicain pour le journal le Populaire de Léon Blum. Elle est arrêtée et fusillée par les franquistes le 1er septembre 1936 et est très certainement la première femme journaliste tuée dans l’exercice de sa profession.
Découvrant son histoire en 2017 grâce aux recherches à Cordoue de Patricio Hidalgo, Rafael Espino et Florentina Rodriguez, l’universitaire palois Jean Ortiz et l’association Caminar «l’adoptèrent» alors pour l’arracher à cette deuxième mort qu’est l’oubli mais aussi comme symbole des dizaines de milliers d’innocents encore enfouis dans les fosses du franquisme.
Près du mur nord du cimetière où un parking occulte désormais le pas de tir des pelotons d’exécutions, Patricio raconte comment il a découvert ce crime qu’il ne cherchait pas… «Dans les registres d’état civil, je faisais des recherches sur les morts des bombardements républicains de Cordoue qui donnaient encore des cauchemars à ma mère», explique ce pharmacien militaire, colonel. «C’est là que j’ai découvert Renée Lafont, morte le 1er septembre 1936. Mais tout était bizarre dans son certificat de décès…» Sur la route de Montoro à Cordoue Patricio reconstitue alors les dernières heures de la romancière, traductrice reconnue des écrivains et penseurs de la République espagnole et… l’envoyée spéciale du Populaire de Léon Blum, en 36.
De Las Cumbres, ancien poste avancé des putschistes, à La Salud… il a méticuleusement documenté toutes les stations du calvaire cordouan d’une femme de 58 ans, blessée, capturée puis sommairement exécutée à l’aube après avoir tenté, en vain, de s’échapper.
Au café, Florentina raconte, elle, les viols, souillures et tortures subies par ses propres grand-mère et arrière-grand-mère, ces semaines-là, avant la dernière balle dans la tête, tandis qu’à la télé, une meute de violeurs remise en liberté fait encore l’actualité.
(lire l’article complet dans La Dépêche)
Article de La Dépêche de mars sur l’exhumation
Madame…
Si les deux femmes que nous sommes se trouvent, c’est grâce à la détermination d’hommes partis à votre recherche. Vous êtes identifiée le jour de la Journée des droits des femmes. Une journée que j’ai toujours pensée être une humiliation pour la moitié de l’humanité que nous sommes et une disgrâce pour l’autre ! Je la rebaptise donc journée Renée-Lafont. C’est dans une fosse commune qu’on vous a trouvée. La fosse commune, c est l’infamie. Celle du bourreau.
De lui que reste-t-il ? Le geste lâche. La violence et la peur.
De vous que retrouve-t-on ?
Des os et l’impact des balles.
Mais aussi, intact, votre esprit libre, votre goût pour la vérité et celui de l’ailleurs, votre intérêt pour l’autre. Intacte la force de votre caractère. Et voilà que surgit votre souvenir dans les mémoires. Et désormais mon cœur. Je fais votre métier. Je me reconnais dans votre insolent refus d’être assignée à notre sexe, et si j ai peur parfois jamais cela ne m’arrête ! On vous a retrouvée. Par-delà les meurtres, l’oubli, le silence et, pire que tout ça réunit, le confort de nos vies. Vous êtes revenue ! Et ça c’est TRÈS impressionnant Madame. Qu’on se le dise ! Car plus rien n’est pareil.
Maïtena Biraben
Extrait de Buscame en el ciclo de la vida
Article du Monde d’octobre 1936
Comme un bruit qui court
Sur les traces de Renée Lafont.Ecouter le reportage d’Antoine Chao 2019 (54mn)