Dans les archives « Palabras en el tiempo » sont réunis tous ces documents qu’année après année et de façon spontanée et anonyme les gens ont déposés sur la tombe et dans la boîte à lettres de notre poète, et que différents membres de la Fondation ont conservés, parfois de façon fortuite, parfois totalement conscients de leur importance, jusqu’à aujourd’hui.
Nous ignorons qui fut la première personne qui eut l’idée d’écrire à Antonio Machado ni quand elle le fit. Ce que nous savons en revanche fort bien, c’est de depuis lors, écrire quelques lignes au poète après avoir visité sa tombe est devenu un rite presque sacré.
En ce moment, nous conservons environ 4500 documents, bien qu’il faille rajouter à cela de nouvelles trouvailles que nous devons incorporer dans les archives ces prochains jours. Le plus ancien de tous les documents conservés est daté du 3 janvier 1975 et le plus récent est sans doute l’un de ceux qui est en ce moment déposé sur la tombe d’Antonio Machado.
Comment se présentent ces documents ? Ce qui caractérise le fonds documentaire « Des mots dans le temps », c’est sa diversité formelle. Les personnes qui décident d’adresser quelques mots au poète le font en utilisant de nombreux outils d’écriture (machines à écrire et ordinateurs, crayons et plumes, stylos de différentes couleurs, crayons de bois et de cire, feutres, aquarelles et même rouge à lèvres) et en outre, elles écrivent sur n’importe quel support (sur des feuilles, du papier à lettres et des pages arrachées aux agendas, des cahiers ou des blocs, du papier à cigarette, du papier hygiénique, des bristols, du carton, des tickets, des étiquettes, des serviettes, des mouchoirs, des post-its, des billets, des brochures, des télégrammes, des reçus bancaires, des factures, des entrées de spectacles et de musées, des cartes de visite, des partitions, même des morceaux de bois, des toiles et des pierres et jusque sur la tombe elle-même).
La plupart des documents sont écrits en castillan et en catalan, suivis par ceux, nombreux, écrits en français ; il y a des cas extraordinaires de messages chiffrés (nous n’avons pas eu encore le temps de les déchiffrer) et des documents écrits en galicien, en basque, en anglais.
Cette hétérogénéité formelle des témoignages conservés apparaît aussi dans la grande diversité des auteurs ; bien que la plus grande partie des documents semblent avoir été écrits par des adultes ou des adolescents, certains ont été rédigés par des enfants. De la même manière, on trouve des documents signés par une seule personne et des documents collectifs, écrits par des groupes d’amis, d’étudiants, d’associations ou par une même famille, par exemple ; généralement, ils portent des traces qui révèlent qu’ils ont été lus et/ou chantés en groupe. Peu nombreux sont les auteurs qui précisent leur situation professionnelle, et dans le cas où elle est mentionnée, il s’agit presque toujours d’étudiants et de professeurs, ou de personnes en relation avec le monde des lettres et des arts (acteurs, journalistes, peintres, musiciens, etc.).
Au total, le fonds se compose de sept sections documentaires :
- La première section, « Messages », est l’une des plus importantes. Il s’agit, en général, de courts documents que les personnes qui visitent la tombe écrivent à Antonio Machado soit pour le remercier pour sa poésie et pour sa vie, soit pour lui adresser une dédicace ou une demande (amour, chance, argent, travail, protection, etc.).
- La deuxième section, « Correspondance », est constituée des lettres que les gens déposent personnellement ou font déposer par un intermédiaire dans la boîte à lettres ou qu’ils envoient par courrier postal au Cimetière Municipal de Collioure.
- La troisième section, « Poésies et textes littéraires », contient des poèmes d’Antonio Machado, diverses compositions littéraires et musicales et des poèmes que les visiteurs lui adressent. Certains sont inédits et composés pour l’occasion, d’autres ont été publiés et nombre d’entre eux sont des copies d’autres poètes, contemporains ou non de Machado, comme Gustavo Adolfo Bécquer, Rubén Darío, Juan Ramón Jiménez, Federico García Lorca, Pablo Neruda ou Angel González.
- La quatrième section, « Publications », renferme des livres complets que les gens laissent sur la tombe, des revues, des coupures de presse, des brochures, des programmes et autres documents porteurs de l’ISBN et/ou de dépôt légal.
- La cinquième section, « Dessins », contient ces dessins que les visiteurs offrent au poète. De qualité très inégale, la plupart sont en relation avec sa vie et sa profession ; les portraits se détachent ainsi que la représentation de certains de ses poèmes les plus connus et différentes scènes de sa vie, surtout ses derniers jours à Collioure.
- La sixième section, « Ecrits scolaires », est clairement prédominante dans le fond à côté de la première. Ce sont des documents produits par des étudiants de différents niveaux (surtout des lycéens) dans le cadre de plusieurs disciplines (histoire, langue et littérature espagnole et française surtout). Parmi ses documents scolaires on trouve des exercices, des examens, des notes de classe, des dédicaces, des feuilles de signatures, des affiches, des dessins, etc.
- La septième section enfin, « Requêtes », est constituée de tous ces documents et objets qui, à titre de don ou d’offrande, sont offerts au poète, principalement des plaques et des cartes de visite, mais aussi des photographies, des cartes postales non écrites, des images, des gravures, des adhésifs, des pièces de monnaie, des drapeaux, des timbres, des pin’s, des badges, des clés, des écorces et des branches d’arbres, des marque-pages, des petits sachets de terre, des rubans et des tissus, des fleurs en toile et en papier, des pierres, des petites statues, du linge et des accessoires, etc.
Quand on regarde les documents, on se rend compte immédiatement grâce à tous ces témoignages, qu’ Antonio Machado est devenu un poète immortel parce que des milliers de personnes continuent à le lire et à se souvenir de lui chaque jour comme d’un des poètes les plus importants de la littérature espagnole et universelle ; ceci explique les louanges et la vénération que ces personnes lui portent lorsqu’elles écrivent et la reconnaissance constante qu’elles accordent au legs culturel qu’il nous a laissé.
Autre chose à laquelle on songe, lorsqu’on tient dans ses mains tous ces documents, est qu’ils sont nombreux ceux qui considèrent Antonio Machado comme un être d’exception, un saint capable d’accéder à leurs désirs, de trouver une solution aux problèmes et de servir d’intermédiaire entre ce monde et l’autre, en même temps qu’un homme sage et un grand maître, une personne courageuse, bienveillante, tolérante, juste, libre, combative, généreuse et sensible, qui peut et doit servir de modèle aux autres.
Tout cela transparaît dans cette reconnaissance permanente que mérite, à côté de son œuvre, la vie du poète, sa conduite irréprochable, sa morale inébranlable. C’est pourquoi, la tombe d’Antonio Machado devient une sorte d’autel improvisé où les gens accourent avec respect et admiration pour établir avec le poète une sorte de dialogue direct, en même temps que la visite au Cimetière Municipal de Collioure peut se comprendre comme la conclusion d’un pèlerinage laïque à la suite d’autres lieux incontournables, comme Séville, Soria, Baeza et Rocafort.
En fin de compte, les documents conservés dans le fonds « des mots dans le temps » nous permettent de comprendre un autre aspect fondamental de la figure d’Antonio Machado : sa transformation en symbole par excellence de l’exil espagnol, puisqu’il est vu surtout, comme la représentation de toutes ces personnes qui durent fuir l’Espagne après la victoire franquiste, surtout de ceux qui sont morts loin de chez eux et de leur famille, de ceux qui ont tout perdu, jusqu’à la vie. C’est pourquoi, beaucoup de témoignages revêtent un ton de dénonciation, de revendication et de plainte.
Extrait de la conférence de Véronica Sierra Blas, février 2014 (traduction Marie Porical Fontanell)